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E >> Étude de cas : La maison de
Bill Gates

« La société informationnelle, abondamment décrite
comme celle de nomades pour lesquels une simple connexion à Internet
assure la survie, est aussi une «société centrée
sur le foyer». Car si les technologies de l'informa¼tion affranchissent
techniquement leur utilisateur des contraintes du temps et de l'espace,
elles sont le plus sou¼vent regroupées en des lieux privilégiés.
Ainsi, depuis les premières prévisions de la «troisième
vague» jusqu'à l'ex¼plosion du multimédia, le retour
à la maison est un des thèmes majeurs de la révolution
informationnelle. L'idéal du «cottage électronique»,
d'un lieu où se combineraient les valeurs de la famille reconstituée
grâce aux nouveaux réseaux, s'affirme toujours plus.
À ce titre, la maison individuelle constitue un modèle d'étude
et d'expérimentation privilégié pour l'analyse, dans
la conjoncture actuelle, des notions de gestion des échanges dans
l'espace quotidien, d'interven¼tion des technologies de l'information
et de l'expression architecturale de ces dernières. S'il faut en
choisir un exemple emblématique, la maison de BilI Gates à
Seattle, qui condense les dernières avancées commerciales
en matière de NTIC (nouvelles technologies de l'information et
de la communication) s'impose : il y est question d'interactivité,
de dialogue entre l'individu et son environnement, mais aussi de valeurs,
de formes symboliques, de matériaux et de partage de l'intelligence »[1].
Dans son livre, La route du futur[2], Bill Gates nous fait le tour du propriétaire.
La construction, implantée au bord du lac Washington à Seattle,
sur une colline, se compose d'une aile familiale, d'un ensemble d'équipements
de loisirs (piscine, gymnase...), et d'une aile de réception (hall
d'accueil, bureaux, salles de réception et de séminaire,
bibliothèque, chambres d'invités).
La technologie de pointe de la maison Gates n’est pas uniquement
dédié aux loisirs, elle répond aussi aux besoins
domestiques communs : chaleur, lumière, confort, commodité,
plaisir et sécurité.
« Une maison capable d’accueillir une technologie sophistiquée
et évolutive, mais sans que cela prenne le pas sur le reste. La
technologie devait être la servante et non le maître de maison ».
Jusqu’ici les désirs de Bill Gates semblent être les
mêmes que ceux décrits dans les chapitres précédents,
l’homme ne doit pas être au servie de la machine. La nouveauté
réside dans la base sur laquelle s'établit cette gestion
informatisée, en entrant dans la maison, on épingle directement
un badge électronique sur ses vêtements. Il nous relie aux
services électroniques de la maison.
« Grâce à votre badge électronique, la
maison sait qui vous êtes et où vous vous trouvez. Elle se
sert de cette information pour essayer de satisfaire, voire d’anticiper
vos désirs – le plus discrètement possible. Un jour
on pourra peut-être remplacer le badge par un système vidéo
doté de capacités de reconnaissances visuelle, mais pour
l’instant c’est impossible »[3].
Les Cahiers de la recherche architecturale critiquait ces propos en affirmant
que si vous enleviez le badge, la maison ne vous reconnaissait plus, ne
vous répondait plus : « elle reste un réceptacle
inerte. Elle n'est une forme que lorsqu'elle est informée par -
et de - votre présence ».
Dans un premier temps, le badge électronique vous permet de déambuler
dans la maison selon les capacités que vous donne votre badge.
En effet, l’authentification dont nous connaissons déjà
quelques moyens (carte de crédit, clés, …), est ici
matérialisé par ce badge électronique ; il vous
permet de traverser la maison sans jamais se préoccuper de la lumière.
Vous pouvez écouter de la musique, regarder des films ou autres
bulletins d’information et ces derniers suivent vos mouvements et
sont émis, ou projeter en fonction des pièces que vous visitez.
Même chose pour le téléphone, un appel pour vous,
seul l’appareil le plus proche sonne.
Une télécommande complètera les capacités
du badge, elle permettra d’avoir accès à une quantité
d’informations, et dans un second temps, créer votre profil.
« Vous partez bientôt pour Hong-Kong ? Demandez
à l’écran dans votre chambre de vous projeter des
vues de la ville. N’ayez crainte ! Tous les occupants de la
maison ne vont pas se retrouver pour autant à Hong-Kong. Les images
se matérialisent seulement sur les murs des pièces où
vous entrez et disparaissent avec vous. Je pénètre dans
la pièce où vous êtes installé. Nous n’avons
pas les mêmes goûts. Comment va réagir la maison ?
Selon les règles préétablies. Par exemple, elle pourra
poursuivre le programme audiovisuel choisi par vous ou encore changer
de programme pour que cela nous convienne à tous les deux »[4].
Dans cette maison, tout ce qui peut faire l'objet d'automation en bénéficie,
mais nous avons pu observer le même genre de technologies précédemment
avec le système Dobiss Modulair. La nouveauté réside
dans la base sur laquelle s'établit cette gestion informatisée.
Il ne s'agit plus d'un ensemble de programmes commandés par un
ordi¼nateur central agissant à partir de critères prédéterminés.
Ici, c'est vous, l'utilisateur, les actions, habitudes, choix et gestes
de chacun sont enregistrés par le système pour établir
son profil. Celui-ci sert ensuite à faire réagir la maison
selon le goût de chaque utilisateur. Pour que le système
puisse reconnaître les profils, toute personne entrant dans la maison
doit donc présenter le badge électronique qui l'identifie.
« Si vous demandez régulièrement des lumières
très crues ou au contraires très tamisées, la maison
en conclura que c’est ce que vous désirez la plupart du temps.
Elle se rappellera tout ce qu’elle apprendra de vos préférences.
Vous avez demandé à voir des tableaux de Matisse ou des
photos de Chris Johns du National Geographic ? Vous trouverez peut-être
d’autres travaux de ces artistes affichés sur les murs des
pièces dans lesquelles vous pénétrerez. Vous avez
écouté des concertos pour cor de Mozart lors de votre dernière
visite ? La maison vous les rejouera peut-être à votre
prochain passage. Vous n’aimez pas être dérangé
par le téléphone pendant le dîner ? Le téléphone
ne sonnera pas si l’appel est pour vous. Vous pourrez également
« dire » à la maison ce qu’aime un
invité. Paul Allen, qui est un fan de Jimi Hendrix, sera accueilli
par un solo déchirant de guitare chaque fois qu’il viendra
chez moi.
La maison établira des statistiques sur les usages de tous les
systèmes, ce qui nous permettra de les régler »[5].
Une nouvelle fois, la description d’un tel système laisse
à première vue rêveur… Lorsque Bill Gates a
écrit ce livre, la maison était en construction, il confiait
lui-même que certains de ses concepts marcheraient mieux que d’autres,
qu’il déciderait peut-être de jeter les badges électroniques.
Pour mieux appréhender un tel système, il nous faudrait
aujourd’hui une description de la vie de Bill Gates et de sa famille
dans cette maison en silicone. Lui espérait dans ses écrits
s’habituer puis s’attacher à son système, et
finir par se dire : « comment j’ai fait jusque-là
pour m’en passer ».
Dans sa visite, Bill Gates ne cesse de nous parler d’accès
à l’information, de partage des données, de musique,
de films, … Mais comment s ‘épanouir si à
chaque fois que vous lui rendez visite, le même air de musique est
joué ? Le système devra donc connaître vos goûts
pour vous faire découvrir des morceaux que vous ne connaissez pas
mais qui sont susceptibles de vous plaire. Les recherches en intelligence
artificielle vont dans cette direction, mais les progrès à
faire sont encore considérables.
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Suite
[1] Les Cahiers de la recherche architecturale
et urbaine, Virtuel-Réel
[2].[3].[4].[5] Bill Gates, La route du futur,
éditions Robert Laffont, 1995.
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